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AMOUR HUMAIN / AMOUR DIVIN

Qu’est-ce que l’amour humain? Qu’est-ce que l’amour divin?

Quelle raison d’être de l’un et l’autre?

Comment passer de l’un à l’autre et pourquoi?

Une thématique autour de laquelle j’évolue depuis, m’en rapprochant quand l’expérience y fait écho, m’en éloignant alors que le doute et la confusion m’assaillent.

L’amour selon Platon a un caractère relatif, puisqu’il est toujours amour de quelque chose qui nous manque, que nous désirons et qui nous est naturellement propre. *

L’amour est en sentiment qui met l’homme en relation avec l’autre dans le sens large du terme: une autre personne, le monde, la beauté…

L’amour humain parle d’attachement, de peurs et projections qui se mettent en branle en écho avec nos blessures de l’enfance. Aimer un autre est une décision, des actes que l’on pose pour faire du bon et du bien à la personne aimée, aimer humainement est donc actif.

L’amour humain idéal serait un amour sans attachement, sans peur, sans plus de névroses qui entrent en écho, qui laisserait l’autre dans une liberté totale d’être, libre de toute instrumentalisation de l’autre, de possession, de projections, de nos blessures…

L’amour de deux êtres se situe probablement entre ces deux pôles.

L’amour divin (ou mystique) est plutôt un état que l’on rejoint, un autre état de conscience, une source continuellement disponible et rejoignable plus ou moins facilement. Moins une action, il est un état que l’on vit, que l’on ressent. Loin d’exclure l’amour humain, ce dernier en fait partie et il est possible de ramener cet amour divin dans la chair, dans une relation humaine au quotidien.

Selon Arjouna Lipschitz pour sublimer une relation humaine, la connexion avec une dimension spirituelle permet à celle-ci de s’élever du fini, du quotidien vers l’infini et l’éternité. Ceci serait un élément essentiel pour que la relation dure et ne soit pas soumise simplement aux hormones, à l’agitation de ceux-ci qui se calme après deux ou trois ans.

Si dans l’amour humain amant et bien-aimé sont deux personnes distinctes, l’amour divin les voit inséparablement unis.*

Sujet aux nombreuses ramifications, j’ai envie de le développer autour de deux axes qui tournent autour d’un axiome central, tantôt se croisant, tantôt s’éloignant.

Le premier axe de réflexion dans lequel j’ai envie de vous emmener est le suivant: de l’amour humain ou névrotique, sans conscience, vers l’amour divin, absolu, mystique. Pourquoi ce chemin? A quoi peut-il me mener?

Très jeune déjà, aussi loin que je me souvienne, j’avais une vie intérieure riche et merveilleuse: je parlais avec des êtres invisibles, et puis j’étais amoureuse de Jésus. J’étais en connexion avec le monde subtil: les anges, le petit peuple…

Ce n’est qu’à l’adolescence moment de construction de la personnalité par la différenciation et l’opposition à ma famille que j’ai perdu ce contact mystique et ai dévié ma quête d’Amour divin ou absolu vers les garçons, vers les relations amoureuses passionnées, douloureuses où tous les attachements s’exprimaient.

A ce moment, l’énergie sexuelle pure monte et agit de façon puissante sur notre part divine mais également sur notre corps émotionnel (corps formé par toutes les peurs, frustrations et traumas accumulés). Lorsqu’elle traverse ce corps émotionnel, elle nous déroute fortement et amène une confusion dans la perception naturelle des sens faisant dégénérer cette énergie sexuelle pure en force impure.

En pleine non-assurance, car en pleine mutation, en pleine inconscience de ce corps émotionnel de souffrance en moi, j’ai basculé complètement dans la dépendance affective sans conscience. Je remplissais, envahissais, conquérais le terrain de l’humain à 100%. J’ai oublié ces connexions subtiles qui souvent me guidaient et me conseillaient par souci d’être comme les autres; dans mon cas, révoltée, identifiée à mes amis qui fumaient des joints et revendiquaient des possibles autres que ce que la société, les parents nous proposaient: études, travail, mariage, enfant, maison, chien/ chat, voiture, vacances, 13ème mois, assurances…

Elle fut longue cette investigation, faite de tâtonnements à l’aveugle, ma tête de bois qui s’est cognée mille fois contre le même mur espérant l’impossible, espérant un autre résultat, espérant que cela fonctionne cette fois, ne perdant jamais la fois jusqu’à aujourd’hui.

De relation en relation, de bras en bras, peu à peu l’intégration s’est faite, il en a fallu des répétitions, des larmes, mon cœur brisé et des cœurs que j’ai brisés, des chagrins à n’en plus finir et la révolte, la stupéfaction, l’incompréhension, l’assimilation, l’acceptation.

L’enseignement qui se faisait chair à chaque expérience intégrée.

Peu à peu s’élever, se dégager de ses émotions, sortir la tête hors de l’eau et commencer à apercevoir les structures répétitives dans mon fonctionnement, ce à quoi elles faisaient écho, ce qu’elles mettaient en lumière. Discerner ma responsabilité et celle de l’autre, ce que je veux ou pas, ce pour quoi je suis faite ou pas, ce que je peux accepter ou pas. Un travail toujours en cours…

Commencer à aimer, à aimer mieux, à m’aimer mieux et mieux aimer l’autre pour qui il est et de moins en moins pour ce qu’il comble en moi, pour ce que je projette à travers lui, pour ce que je ne crois pouvoir être ou faire sans lui. Comprendre mes motivations à vouloir être en relation, les décortiquer…Et commencer même à aimer sans vouloir posséder, laisser l’autre libre et apprécier le voir “comme un vol d’hirondelles, libre et sans autre chemin que celui tracé par ses ailes”*3. S’étonner de ne plus avoir peur de perdre, apprécier, partager ce que je suis, moins d’attentes, plus de conscience dans l’attachement et donc plus d’appréciation de se laisser s’attacher, de se laisser être avec nos forces et faiblesses, le plaisir même de souffrir d’amour, par amour, se sentir humain et vulnérable, divin et infini à la fois.

Ce chemin, long chemin, pour aboutir à une sorte d’amour qui n’a même plus besoin d’objet d’amour, qui n’a plus besoin d’un compagnon pour être vécu.

 

Un amour qui nous baigne dans un état amoureux permanent, amoureuse de l’amour, transcendance de ces épreuves passées comme une alchimie qui a pris une éternité à se réaliser.

Le contact direct avec l’âme, siège de la béatitude, me procure un ressenti organique qui me permet de percevoir l’amour sous sa forme absolue, au delà de mon corps, palpable dans l’atmosphère, présent en tout et en tous.

Vivre le subtil dans chacune de ses cellules, à travers son propre souffle, des moments intenses d’auto-suffisance ou plus aucun besoin n’émerge car tout est là, tout à toujours été là, tout sera toujours là, se sentir être ce tout.

L’expérience réelle que oui, nous sommes tous un, que tout est baigné d’amour, même la haine.

Ne plus se sentir limité par les limites de son propre corps, se sentir immense, absolu, se sentir être l’autre, ne plus avoir peur, s’ouvrir à une confiance aveugle, résistante à toute épreuve. Ce fut une période de vie où le mysticisme prit sa place tout seul au profit d’un état d’extase en communion avec le subtil sans effort.

Et puis, ce nouveau ressenti s’est transmuté en un accès vers un mieux aimer dans le relatif, dans la chair, l’envie de le vivre dans un amour avec un homme/ compagnon. L’on pourrait ayant connu de tels états, vouloir en rester là, se couper du lien à l’autre, du lien quotidien et simple, vouloir rester dans l’amour éprouvé par les mystiques et les saints, les renonçants, les moines, le garder dans son coeur, ne plus vouloir le vivre dans la chair, le spiritualiser, voir le mentaliser, en tous les cas, se couper des autres, de son corps… oublier l’humain au profit du divin.

J’ai cru cela un moment et ai compris. Compris que pour moi ce n’était qu’une étape pour mieux revenir, regarder le chemin parcouru et comprendre la justesse de chaque étape. Transcender la réalité pour mieux y revenir.

Les amours humains névrotiques m’ont permis de mettre en lumière certaines de mes parts incapables d’aimer, comme un passage obligé vers la découverte de cet amour mystique. L’amour du bien aimé (du divin), qui nourrit intensément ce désir de l’incarner dans la chair dans une relation humaine, amoureuse, sexuelle au quotidien.

Je vois cette expérience comme l’aboutissement d’une grande préparation à aimer avec mon cœur, mon corps, mon humanité non pas un prémisse à l’abstinence ou à l’amour platonique.

La découverte de l’amour divin, mystique, de la source… a été pour moi un passage pour mieux m’incarner et passer de l’individuel à l’altérité et à l’universel. Une étape qui en ouvrant sur l’infini permet d’ouvrir à la vastitude l’amour limité par la chair.

Le deuxième axe de réflexion est celui de la sexualité névrotique VS la sexualité divine.

Le mot névrose désigne un comportement problématique (partie émergée) qui est une réponse à un trauma: violence, abus, viol, humiliation, pression, abandon…(partie immergée), un comportement qui prend possession de moi, qui est plus fort que moi, incontrôlable et qui fait du mal: me fait du mal et/ ou à l’autre.

Certains comportements sexuels névrotiques ne représentent pas réellement un problème lorsqu’ils sont assumés et ne blessent pas l’autre, lorsque l’autre est d’accord d’y répondre en toute conscience, je les appellerais ici: comportements sexuels humains ou sexualité humaine ou sexualité névrotique en conscience.

D’autres comportements sexuels névrotiques sont de véritables atteintes à l’autre (viol, abus, violence…).

Même un comportement sexuel névrotique en apparence anodin (fétichisme de la lingerie par exemple), devient un problème lorsque ce comportement devient une nécessité à l’acte sexuel (lorsque la personne a besoin de lingerie pour avoir des relations sexuelles). L’autre devient l’instrument utilisé au service de la satisfaction d’un désir, l’on quitte le registre du langage corporel pour être uniquement dans l’écoute de l’ego, du mental et des ses aspirations.

La sexualité humaine ou névrotique en conscience vue comme l’expression de la personnalité, de notre corps émotionnel dans les rapports intimes quels qu’ils soient (seuls, à deux à 3, 4 … hétérosexuels, homosexuels, transgenres…).

Le sexualité sacrée ou tantrique propose de lâcher les objectifs (orgasme, performance, séduction, stratégie amoureuse…) et à revenir dans la magie de l’instant. Il ne s’agit plus de faire quelque chose mais de laisser les corps parler, les mouvements se dessiner par eux-même sans intention. L’ouverture à la dimension spirituelle donne une teinte d’absolu aux ébats des amants lorsqu’ils s’unissent. Hors de la séduction, du désir d’être aimé, il s’agit d’offrir et de s’offrir à l’autre dans la spontaneité la plus totale.

Le tantrisme étant une voie de (re)-découverte de soi, il inclut la sexualité mais n’est pas du tout centré uniquement sur cet aspect. La voie tantrique peut-être confrontante lorsque nous faisons face à nos limitations, nos peurs, nos croyances erronées… tout ce que nous avons mis en place et qui contribue à notre propre malheur et souffrance. Il utilise aussi l’énergie sexuelle (et principalement dans le massage tantrique) ou l’énergie vitale, énergie qui comprend toutes les parties de notre être, énergie intense qui nous permet de nous confronter à toutes nos parts à tous les plans.

Dans cette approche du massage tantrique, l’idée est de faire (re)-circuler cette énergie de vie dans toutes les parties du corps afin de relever d’éventuels blocages énergétiques, émotionnels… L’énergie sexuelle est donc mise au service de notre santé.

“Inventons une passion non sentimentale fondée sur l’absolue présence à l’être qui est dans nos bras, libérons-nous de la peur d’être abandonné qui nous étreint au premier baiser et nous force à la manipulation”. (Daniel Odier)

J’aime aussi l’idée de créer de l’espace, dans la fluidité des mouvements des corps à l’unisson, se laisser aller ensemble à l’inconnu, laisser tomber les rôles et ré-inventer la vie à chaque instant.

Lors de mes stages de massage tantrique dans la capitale bruxelloise, j’ai plusieurs fois entendu : “Moi maintenant je ne veux plus que de la sexualité sacrée”, mots qui entrent en écho en moi de façon étrange. De suite, je me dis que je ne prévois pas à l’avance quel rapport je souhaite avoir. Je me dis que peu importe où j’en suis dans mon parcours, je laisse parler mon corps lors des échanges intimes et pas ma tête. J’aime laisser une place à la créativité incessamment renouvelée dans la sexualité, sans suivre de code, de schémas, d’expérimenter afin d’en découvrir toutes les facettes.

Bien entendu l’ego aspire parfois à être ailleurs que là où il est, mais cela ne sonne plus juste ou naturel pour moi à présent, de prétendre à une autre sexualité que celle inspirée par l’intelligence des corps dans le silence de la pensée, sans projection peu importe ce qui se dessinait.

Krishnamurti dit d’ailleurs:  “En comprenant ce que vous êtes s’amorce en vous un processus spontané de transformation, alors qu’en devenant ce que vous croyez devoir être, il n’y a pas de trace de changement, c’est simplement la même chose qui continue sous une autre forme”. Il suffit de voir ce qui est et cela se transforme tout seul, dans la fluidité non plus dans la résistance.

Les fantasmes, les envies, désirs ont toute leur place dans notre vie d’humain et ils serait bien triste de ne pas les écouter, de ne pas saisir ce qu’ils viennent nous dire de nous-même. Souvent lorsque nous les accueillons, ils sont – si nous n’en devenons pas leurs objets mais restons bien le sujet de ceux-ci – des précieux alliés de connaissance de soi.

Attention à ne pas nous perdre dans les promesses qu’ils nous font miroiter, qu’ils ne tiennent que très rarement. Les utiliser comme déclencheur d’un impulse, non pas comme un but en soi.

Je crois qu’à partir d’un moment tout de même (dans mon expérience, je ne prétends pas universaliser ce que j’expérimente) la sexualité centrée uniquement sur le fantasme, sur les plaisirs de son corps, de sa personne, de son ressenti, sans réelle connexion à l’autre, don à l’autre, célébration de l’autre, de la relation, de l’amour; nous fait plafonner dans un registre limité de plaisir et nous pousse à rechercher le renouvellement de cette expérience dans l’espoir d’une plus grande réalisation qui ne vient pas, pas comme ça.

 

Les fantasmes font partie de notre personnalité qui englobe également nos émotions et ne sont nullement à éradiquer. Ils sont tous deux des indicateurs de comment nous nous sommes construits en réaction face à l’environnement familial, culturel, sociétal, comment nous avons construit ce corps de souffrance ou corps émotionnel.

Selon Barry Long (maître spirituel et écrivain australien), au plus nous nous laissons aller à cette sexualité névrotique en écoutant notre pénis ou vagin émotionnel pour reprendre ses mots, au plus nous devenons l’esclave/ l’objet de nos envies sexuelles, au plus nous nous éloignons de ce qu’est réellement faire l’amour de façon divine.

Selon moi (en toute humilité), de la même façon que nos amours humaines sont des marches vers l’amour transcendant, la sexualité humaine est une étape dans notre sexualité et peut le rester toute notre vie, l’important étant la conscience de nous même et de l’autre et l’intention que nous posons dans le rapport intime avec ce dernier: Est-ce que j’utilise l’autre pour mon propre plaisir? L’autre consent-il avec plaisir à faire ce que je désire? Suis-je dans une posture de célébration d’une réelle rencontre à l’autre? Dans un partage d’intimité à travers cette expérience? Suis dans le “faire l’amour” ou dans un partage de sexualité? Suis-je dans un élan sincère ou dans une stratégie?

Ainsi faire l’amour peut être un acte totalement égoïste comme un acte de don de soi dans l’écoute de l’autre, un acte auto-centré ou une réelle rencontre, un acte stérile ou un acte créateur.

En conclusion, je crois qu’en vivant pleinement notre sexualité névrotique en conscience, en laissant parler, voir en exagérant ce qui nous appelle, nous avons plus de chance de passer à une sexualité plus divine qu’en reléguant aux oubliettes ces envies qui émergent de nous.

Se rappeler que “La vie n’a qu’un sens: être vivant”. *4

Regarder et accepter qui je suis pour permettre à ce qui est de se transformer naturellement.

Faire des aller-retour entre le fini et l’infini, ne rien rejeter, se laisser se dilater et se contracter dans ces mouvements comme l’inspir (retour à soi) et l’expir (abandon de soi).

Ne pas être que dans la matière et ne pas aspirer à la quitter non-plus.

Se rappeler de la parfaite imperfection que nous incarnons, que l’aspiration au divin n’empêche pas la vie mais nous invite à la célébrer plus encore dans l’altérité.

*1- MARAGUIANOU, Evangelie, L’amour et la mort chez Platon et ses interprètes, Tours, 1990, p. 12.

*2- L’amour humain et l’amour divin dans “la porte étroite” et “la symphonie pastorale” d’André Gide par Aleksandra Cvorovic

*3- Jeanne Cherhal L’art d’aimer, Album L’an 40.

*4 – Daniel Odier, “Une sexualité au parfum d’inconnu”, Interview paru dans Nouvelle clé.