« La somatique au service de l’éveil »
Contrairement à l’imaginaire occidental dominant, l’éveil n’est pas nécessairement une sortie du corps, une extase mentale ou une montée énergétique détachée de la matière. Dans de nombreuses traditions, notamment le tantrisme non duel, le corps est non seulement une porte d’entrée, mais parfois la seule voie possible pour une transformation réelle.
J’irai plus loin en disant que je considère le corps comme le seul laboratoire possible pour cheminer vers l’éveil. Éric Baret utilise bien les titres Corps de silence et Corps de vibration. À partir du « grossier », nous connectons le subtil, le vibratoire, le silence.
Depuis toujours, sans pouvoir mettre de mots précis dessus, j’ai été attirée par cet aspect somatique du corps. Par ce langage silencieux qui parle avant les mots.
Ce n’est pas dans des pratiques spectaculaires ni dans des états altérés que j’ai vécu ce que je pourrais appeler des instants d’éveil. C’est dans la thérapie. Dans l’espace nu, humble, exigeant parfois, de la relation thérapeutique. Dans le fait de sentir quelque chose en moi, non pas en dehors. D’avoir accès à des parts de moi que je n’avais jamais pu accueillir jusque-là car elles étaient trop douloureuses. C’est là, dans ce cadre incarné, que quelque chose en moi s’est fortement éveillé. Pas une extase spectaculaire, pas une déconnexion du monde. Mais dans le collapse d’une fausse identité construite en réaction aux aléas de la vie pour ne pas sentir cette douleur existentielle. Dans une perception plus fine, plus vraie de ce qui est, de cette identité fondamentale, de celle construite aussi ; de ma souffrance, du monde et du regard tout subjectif que je lui portais à travers mes lunettes traumatiques.
Ce que l’on appelle parfois « sous-type spirituel » en typologie comportementale m’a aussi beaucoup parlé. Il s’agit de personnes très sensibles, souvent marquées par des blessures précoces, qui ont trouvé refuge dans une forme de spiritualité désincarnée. Elles se sentent davantage en lien avec le subtil, le divin, Dieu ou l’univers qu’avec les humains. Elles perçoivent des nuances que d’autres ne captent pas, mais peinent à filtrer les stimuli du monde : les bruits, les tensions, les mouvements, les interactions sociales… tout les traverse de plein fouet. Souvent, elles ont trouvé dans le spirituel un espace plus tolérable que le monde terrestre. Sans jugement, je reconnais cette stratégie de survie, car elle permet de mettre à distance la souffrance et de l’adoucir un peu.
Ce sont souvent des personnes qui perçoivent des nuances que d’autres ne captent pas. Elles ont aussi beaucoup de difficultés à filtrer les stimuli et peuvent être facilement submergées par leur environnement.

Voyez-vous comme les blessures ou traumatismes précoces déterminent nos comportements, notre ressenti, nos croyances, notre sentiment d’identité?
Honnêtement, j’ai flirté avec ce sous-type à l’âge adulte. Plus jeune, adolescente, j’étais de l’autre côté du prisme, le « sous-type intellectuel », celui qui a besoin de voir pour croire. J’oscille encore entre les deux à présent, sachant que l’origine de ces stratégies est traumatique et ne fait pas partie de mon vrai moi, du « Soi ».
« Le regard s’allume
quand les yeux s’éteignent. »*
Être éveillée, à mes yeux maintenant, c’est être incarnée, comme l’est un des préceptes majeurs du tantrisme non duel qui nous invite à : « Être avec ce qui est ».
Que cherchons-nous en cheminant spirituellement ?
La réduction de la souffrance, du sentiment de séparation, une conscience plus vaste sur qui nous sommes, en incluant l’ego sans devoir le dissoudre ; ce qui nous traverse ; revenir à notre identité fondamentale.
Alors que c’est aussi en regardant nos blessures précoces, avec lesquelles nous avons construit notre identité, que nous pouvons éventuellement revenir à notre véritable nature. C’est en traversant la fêlure que nous accédons à la lumière.
« Il y a parfois un vertige des cieux
qui nous attrape par les pieds.
Il y a des vacuités douloureuses
qui appellent des torrents de plénitude.
Quand les plantes des pieds frémissent,
la grâce attend au bout des doigts. »
Cette idée d’élargir la conscience sans dissoudre l’ego a été justement pour moi de reconnaître que j’étais en plein dans ce sous-type spirituel, et auparavant intellectuel, et de me poser la profonde question : « Mais qui suis-je véritablement ? »
Comment être en quête de ma véritable nature et laisser une place à l’ego ? Une quête d’absolu en incluant ma mythologie personnelle. L’absolu et le relatif à la fois! J’adore ce paradoxe, certes pas toujours confortable.
Rapatrier en dedans ma quête du mystique, du subtil, du vibratoire, comprendre que cet élan vient d’une blessure précoce me permet de laisser tomber une étiquette, une caractéristique identitaire, sans me faire perdre la connexion au mystère du divin.
Je m’y approche d’un pas.
Les pétales des roses sont plus colorés, le bleu du ciel plus bleu, l’amertume délicieuse du thé vert japonais me ravit plus chaque matin.
Chaque émotion est un monde en soi que l’infini que je suis contient.
Auteure: Umâ Aum