Grande romantique, à l’aube de ma vie amoureuse, probablement en réaction à la relation mortifère de mes parents qui se déroulaient sous mes yeux jeunes et sensibles, je rêvais non pas au prince charmant, car j’ai toujours eu un côté indépendant malgré ma dépendance affective. Non, je rêvais d’ une relation unique qui s’étendrait sur toute ma vie.
Autant vous dire que j’en suis loin du compte de cet unique compagnon…
C’est un peu un mantra, un étendard en ce moment : « Je reviens de loin » qui me permet de célébrer où je suis aujourd’hui.
Mes premières amours furent faites de brutalité physique, verbale, morale, de tromperies, de drames, cela a été loin, trop loin. Ma dépendance affective était telle que j’ai laissé des hommes être violents avec moi, recherchant cet amour perverti reçu de mon père. Dans l’ignorance totale du fait que je pouvais dire « non », que j’avais le droit de ne pas être d’accord, de quitter…
Après ces amours adolescentes immatures, j’ai tenté la vie de famille classique, le couple traditionnel sans aucune remise en question de ses préceptes. Ce fut le plus grand essai que je n’ai jamais fait pour entrer dans un moule que l’on avait sculpté pour moi. Constat : échec cuisant.
Avec le père de ma fille, je me suis retrouvée à assumer les deux rôles classiques de l’homme et de la femme : m’occuper du ménage, de notre enfant, du jardin, de la cuisine, des deux chats, des papiers, des travaux, des remises en question nécessaires pour éviter que notre relation ne se délite dans l’usure de la routine. J’ai même été jusqu’à rédiger et poster ses lettres de candidature! Lui n’avait plus qu’à les signer avant que je ne referme les enveloppes et aille les poster en promenant notre bébé.
Je n’avais rien gagné à être (plus) autonome ou moins dépendante, au contraire.
Je reviens de loin !! Je pensais vouloir ce genre de couple, de relation et je la désirais ardemment. Je souffrais quand j’étais seule comme je le disais pour décrire ma situation de célibataire. Je ne me sentais pas complète ou en échec d’être « seule » (est-on seul. e lorsqu’on est célibataire ?, je le croyais à tort). Et facilement, rapidement, je plongeais à nouveau dans une relation, croyant le vouloir, croyant ce que les standards nous imposent, croyant qu’alors j’aurai réussi quelque chose, que même si j’étais malheureuse, au moins je n’étais plus « seule ».
Lorsque je rencontrais un homme et tombais amoureuse, je me précipitais entièrement dans la relation hétérosexuelle exclusive et cette relation déclassait toutes les autres. Je ne pouvais exister qu’à travers ce lien romancé, imposé, représenté par toutes les personnes adultes dans mon entourage familial et social lors de mon enfance. Je n’envisageais aucune autre alternative, car comme beaucoup, je n’avais reçu que ce modèle. Et dans ma famille, une représentation particulièrement toxique de ce canevas.
J’ai tenté des reproductions en masse de ce schéma pendant longtemps sans comprendre pourquoi tant d’échecs, sans questionner ce modèle.
Et puis, un jour, un homme libertin se présente à moi. Je découvre une relation faite de respect, authenticité, joie, écoute, partage, égalité, liberté… Ce fut ma plus belle relation. J’ai tant aimé son aptitude à être directement entier et vrai avec moi. Un amour au-delà de la possession. Cela m’a bien fait travailler, je ne le cache pas mais nous avions tout l’espace de nous dire dans nos aspirations, peurs, difficultés et toujours nous prenions soin de cela, nous prenions soin de l’autre en restant nous-même. Quelles leçons, quels cadeaux ! Un jour, il m’a offert un livre sur la définition et les techniques du tantrisme : « Le Tantrisme : Mythes, rites, métaphysique de Jean Varenne ». Je me vois encore retirer ce livre de sa bibliothèque, un grand moment. L’impression de découvrir un secret mûrement bien gardé !
C’est là que ça a commencé…
Ensuite, je me suis looooonguement questionnée : « Suis-je réellement faite pour un homme comme je le croyais et désirais ? », « Était-ce une construction sociale ou ce que je voulais réellement ? ». Je n’ai pas eu de réponse pendant bien longtemps.
Lors des stages tantra, je voyais la jalouse, la séductrice prendre le dessus et rejouer des rôles pour re-rentrer dans la relation amoureuse. Cela ne venait pas du cœur. Ce ne fut pas facile de regarder tout ceci en moi. J’en ai fait le pari. J’ai traversé beaucoup de mes ombres. Quel passage inconfortable !! Cela m’a arraché la gueule, m’a renvoyé une image pathétique et pitoyable de moi que j’ai commencé à accueillir avec amour et douceur peu à peu, pas à pas.
J’ai charrié encore quelques années la carcasse vide de mon désir de relation exclusive hétérosexuelle entre deux personnes. Avec l’envie de mettre l’homme au centre de tout, en priorité sans même m’en rendre compte.
D’une démarche où je m’offrais trop rapidement pour me compléter, motivée par ma dépendance, j’ai appris à prendre le temps de sentir, de découvrir si l’autre me convenait ou pas et réciproquement, de réaliser ce qui réellement nous mettait en relation. Je n’avais plus besoin de me précipiter, car il n’y avait plus de vide à combler, de modèle à reproduire.
Et puis… cette rencontre incroyable, différente… J’ai envoyé valser en éclat toutes mes étapes réactualisées de rencontre amoureuse, toutes mes précautions (« Moi, j’ai besoin de deux ou trois rencontres avant d’aller plus loin » OU « J’ai besoin de connaître l’autre avant d’aller dans la sexualité »…) tout était ouvert avec lui et c’était totalement mutuel !
La réciprocité fut une exclusivité. Comme c’est bon de sentir l’autre dans le même élan face à soi. Comme l’équilibre entre l’envie de donner et recevoir est épanouissant, nourrissant, rassurant…
Je n’avais plus besoin d’aimer plus que l’autre pour accéder au couple ni pour remplir ce rôle de femme qui se met exclusivement et en priorité au service de son homme, parce qu’enfin nous étions deux êtres égaux l’un en face de l’autre avec les mêmes envies… à priori…
Avec lui, je croyais que je voulais encore ce couple classique exclusif hétéro et en plus c’était si facile avec cette réciprocité… La carcasse vide de ce fantasme s’est encore soulevée. Mais cette fois, juste un chouïa. Elle est retombée promptement en éclats face à ses mécanismes et ses peurs à lui. Je pouvais bien être prête, lui ne l’était pas.
Et cela a rapidement gâté notre lien d’amour. Il n’était plus face à moi, comme moi je ne l’ai plus été dans la majorité des cas passés.
À travers lui, j’ai réalisé que le chemin de conscience sur lequel je marche depuis si longtemps à travers la voie du tantra, m’a permis de découvrir comment j’utilisais l’autre pour me rassurer, pour combler les moments de solitude, pour combler ce besoin narcissique de se sentir exister dans les yeux de l’autre…
Je me suis vue ne plus pouvoir rentrer dans la posture de la femme fragile, mais indépendante (jolie l’illusion !), l’homme fort, protecteur, l’homme qui prend un pouvoir diffus sur la femme l’air de rien (probablement inconsciemment aussi, car il n’y a pas que les femmes qui sont victimes de ce « masculin neutre »*1 qui teinte tant nos relations, nos sociétés à tous les niveaux), la femme qui entre dans ce rôle de façon consentante, qui se soumet, petite chose chétive, s’oubliant… Je ne m’étais pas aperçue que j’avais été éduquée de la sorte comme la majorité des femmes. Je pensais que là était mon bonheur. On m’avait aussi dressée à être d’accord. Je n’avais donc pas de réel accès à mon consentement.
Je sortais du magasin du « prêt-à-porter relationnel », qu’auparavant, je me réjouissais d’enfiler en ne réalisant même pas qu’il y a une multitude de schémas qui pourraient mieux me correspondre. Que ce modèle se crée à deux.
Oh ! Je connaissais tout cela en théorie, mais en pratique… ces patterns inconscients sont tellement puissants que je ne me rendais pas compte que souvent je retombais dans ces ornières toutes tracées.
Il ne me restait plus qu’à me dire dans cette nouvelle vérité. Pas facile, mais je l’ai fait !! Je ne pouvais pas ne pas le faire sinon j’aurais été hypocrite et j’aurais fini par le détester de mes propres incapacités.
Je ne peux plus et ne veux plus rentrer dans ce modèle sans l’interroger et même si en apparence, la relation a tout d’un couple classique hétéro entre personnes cis, ses fondements ou son essence auront été questionnés et ce qui tisse le lien se pose complètement ailleurs ou différemment.
Questionner le pourquoi de l’exclusivité et la décider ensemble ou pas est une démarche totalement différente que d’y entrer sans même se demander si cela nous convient dans le présent, à court terme et à long terme.
Je m’aperçois que ce que je kiffe c’est de questionner avec mon chéri et aussi mes amies, la nature du lien qui est à créer à chaque instant.
Je déguste la liberté du retour à soi, du sentir en soi, du « oser se dire ». Je m’offre de partager mes doutes et questionnements. Je suis enfin capable d’écouter l’autre sans me ramener à moi et à mes peurs, dans l’ouverture du « différent ».
Je ne veux plus de ces projections de merde où à la deuxième rencontre on se voit déménager et envoyer péter tout ce qui fait nos vies.
Je ne veux plus compléter un vide en moi ou être ce qui va combler le vide de l’autre. Je ne veux plus utiliser l’autre et sous des apparences d’amour, prendre tout ce dont j’ai besoin.
En fait je suis bien comme je suis et je serai bien aussi en lien, exclusif ou pas, célibataire ou pas… L’important étant de sentir à chaque pas si cela me convient et convient à l’autre.
Je me vois aujourd’hui face à l’homme (vu que c’est mon orientation sexuelle) dans le présent et non le futur en essayant d’agripper tout ce que je peux avec plus ou moins de classe, plus ou moins de détachement apparent plus ou moins bien géré.
Et si j’ose regarder et sentir en moi, je m’aperçois que je désire quelque chose d’entièrement différent, mais en apparence similaire à cette proposition de couple hétéro cis.
Une relation est organique et varie. Bien sûr, cela n’est pas rassurant, mais au moins le lien est authentique et tout le monde est bien plus heureux. Il part de ce que l’on souhaite réellement et non de ce qu’on nous impose, de ce que nous nous imposons nous-mêmes pour être comme les autres, pour être inclus dans ces modèles parentaux et sociétaux dégueulasses (je sais le mot est fort, mais rappelez-vous, je reviens de loin).
A présent, lorsque je rencontre un homme, je me vois donner avec joie sans attendre. Je me vois être moi sans séduire. Si séduction il y a, elle est juste là pour le simple jeu de l’attraction qui attise la tension sexuelle. Je ne cache plus des parts de ma personnalité par peur qu’elles ne soient pas aimées.
Je peux finalement donner cet amour que je suis, car mon aspiration est le partage de la joie et non la succion de l’énergie chez l’autre.
Je peux enfin profiter du présent, de sa peau, du plaisir, des partages sans enjeux futurs… on verra bien ce qui se dessine entre nous et c’est très certainement en étant réellement et entièrement face à l’autre avec mes réelles envies, dans le partage des nos questionnements, de nos doutes que quelque chose de beau et de bon pourra s’inventer, qu’un couple pourra peut-être naître. Mais ce n’est plus la finalité.
Je peux enfin accueillir l’autre pour ce qu’il est et non pour ce que j’aurai envie qu’il soit.
Aujourd’hui je crois que c’est cela l’amour, le vrai amour…
Autrice : Umâ Aum