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Le Shibari est souvent regardé de l’extérieur comme une pratique spectaculaire, esthétique ou chargée de projections sexuelles. Ce que l’on perçoit beaucoup moins, c’est ce qui se joue à l’intérieur du corps lorsque quelqu’un est attaché dans un cadre clair, sécurisé et consenti.
À ce niveau-là, il ne s’agit plus d’images ou de fantasmes, mais de physiologie, de système nerveux et de régulation hormonale.

Le corps ne fait pas de distinction morale ou culturelle : il réagit à ce qu’il vit. Et dans une séance de Shibari, il se passe beaucoup de choses.

Le fait d’être contenu par des cordes place le corps dans une situation particulière : une contrainte réelle, tangible, mais choisie. 

Cette contrainte active immédiatement les mécanismes biologiques liés au stress. Le système nerveux autonome se mobilise, et avec lui, le système endocrinien.

Le cortisol, hormone centrale de la réponse au stress, entre en jeu. On observe une augmentation transitoire de son taux, de la même manière que lors d’un effort physique intense ou d’une situation exigeante. Cette activation n’est pas problématique en soi. Au contraire, elle est physiologique. Ce qui fait la différence, c’est qu’elle est contenue dans le temps.

Contrairement au stress chronique (celui qui s’installe sans issue, sans résolution),  le stress vécu dans une séance de Shibari est circonscrit. Il a un début, un déroulé, une fin. Le corps peut alors faire ce qu’il a souvent désappris : monter en activation, puis redescendre.

Cette montée de stress physique s’accompagne également d’une augmentation de la testostérone, observée dans certaines études. Mais très rapidement, si la personne attachée se sent en sécurité, un autre phénomène apparaît : la libération d’endorphines.

 

Les endorphines et en particulier les bêta-endorphines et les endomorphines sont produites par l’organisme en réponse à la douleur ou à l’inconfort.

Elles ont un effet analgésique naturel et induisent une sensation de soulagement, parfois décrite comme un état de flottement ou de détente profonde après la séance.


C’est souvent ce moment-là que les personnes décrivent comme un « après » très calme, très posé, parfois même étonnamment silencieux à l’intérieur.

Ce basculement entre activation et apaisement permet au corps de réinitialiser partiellement sa réponse au stress.

Pour des personnes en stress chronique, dont le système nerveux reste bloqué en hypervigilance, cette expérience peut être particulièrement marquante. Le corps se souvient qu’il est possible de redescendre.

Un autre acteur important qui entre en jeu est l’ocytocine.


Souvent appelée hormone du lien, elle est libérée lors de contacts physiques sécurisés, d’interactions basées sur la confiance et la présence attentive. Dans une séance de Shibari, la qualité de la relation entre la personne qui attache et celle qui est attachée est déterminante.

Lorsque le cadre est clair, que la communication est constante, que les limites sont respectées, le corps peut produire de l’ocytocine. Cette hormone favorise le sentiment de sécurité, réduit l’activation excessive du système sympathique et soutient un état d’apaisement relationnel.

C’est un point essentiel : ce n’est pas la corde en elle-même qui produit ces effets, mais la manière dont la contrainte est vécue. Sans sécurité, sans consentement réel, sans présence, le corps ne libère pas les mêmes substances. Il reste en mode survie.

Dans une séance bien contenue, on observe aussi un jeu subtil entre adrénaline et endorphines. L’adrénaline intervient surtout au début, dans la phase d’anticipation et d’intensité. Puis, si la personne peut lâcher une partie du contrôle, les endorphines prennent le relais.

 

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Ce passage permet parfois une modification temporaire de l’activité du cortex préfrontal, la zone impliquée dans le contrôle, l’analyse et la rumination mentale. Le mental se met un peu en retrait, laissant plus de place aux sensations corporelles.

La dopamine, neurotransmetteur lié au circuit de la récompense, est également impliquée. Elle intervient lorsque l’expérience est perçue comme cohérente, contenante, voire gratifiante. La dopamine soutient l’élan vital, la motivation, le sentiment d’être vivant.

Dans les états de stress chronique ou de dépression, la production naturelle de dopamine est souvent altérée. Son activation ponctuelle peut alors contribuer à une amélioration de l’humeur et à une sensation de réengagement avec le corps.

L’ensemble de ces mécanismes (cortisol, adrénaline, endorphines, ocytocine, dopamine) ne fonctionne pas de manière isolée. Ils interagissent. Et c’est cette interaction qui rend l’expérience du Shibari si particulière sur le plan physiologique.

 

 

Il ne s’agit pas d’un « soin » au sens médical du terme, ni d’une technique thérapeutique en soi. Mais dans certaines conditions, cette pratique peut avoir des effets thérapeutiques indirects, en soutenant la régulation du système nerveux, en diminuant la charge du stress chronique et en offrant au corps une expérience de contenance et de relâchement qu’il ne connaît parfois plus.

C’est aussi pour cette raison que cette pratique ne peut pas être proposée à tout le monde, ni à n’importe quel moment. Un système nerveux trop fragilisé, un trauma non stabilisé ou une dissociation importante demandent d’autres formes d’accompagnement en amont.

Lorsqu’elle est envisagée avec prudence, clarté et discernement, le Shibari peut devenir une expérience corporelle intense mais régulatrice, où le corps retrouve, même brièvement, sa capacité à monter, à ressentir, puis à redescendre.
Et parfois, cela suffit à ouvrir un espace nouveau dans la relation au stress, au corps et à soi.

 

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